On en parlait dans notre précédent article avec Ti Mat concernant le Choka. Saviez-vous que le Choka avait également joué un rôle important dans le développement des Fours à Chaux à La Réunion ?
Ce mois-ci, à l’occasion du Festival de l’Océan du 2 au 11 Juillet, c’est Clovis, éclaireur et guide à l’Office de Tourisme de l’Ouest qui nous plonge dans un autre monde : celui de la chaux, des zingades et des fours à chaux de La Réunion ! Découverte !
Les fours à chaux à La Réunion
Clovis commence par poser le décor. “On est fin XIXème. Les deux gros chantiers de l’époque à La Réunion sont la création du Port (qui débute en 1879) et les voies de chemin de fer. Plus précisément les ponts de la grande Ravine, de la petite Ravine et des Colimaçons dont le chantier débute, pour eux, en 1878.”.
À l’époque, on a besoin d’une très grande quantité de chaux (en l’absence de calcaire sur l’île de La Réunion) mais également d’ouvriers qualifiés qui maîtrisent cette technique. On décide d’en faire venir du Piémont, en Italie. Mais les débuts s’annoncent compliqués. “Quand ils sont arrivés, ils avaient un petit souci ces ouvriers : ils ne savaient pas mélanger notre chaux ! Du coup, ils ont commencé par emmener leur propre chaux, depuis l’Italie ! Puis, petit à petit, ils ont réussi à utiliser celle qu’on produisait.”.
Car, si à cette époque, on va produire de la chaux en grande quantité, la production de chaux existe depuis longtemps à La Réunion. En effet, dès 1664, la chaux est utilisée à La Réunion. L’île ne possède pas de bâtiments en dur à l’époque et c’est la Compagnie Française des Indes orientales, qui détient à l’époque le monopole des terres, qui va développer cette technique de la chaux.
“La plupart des fours à chaux dits “seconde génération” de La Réunion remontent à la fin du XIXe – début du XXe siècle comme celui d’Augustin Rivière, situé à l’entrée de Saint-Leu. Et c’est vraiment à cette période que la chaux va devenir, avec le sucre, une activité à part entière pour répondre aux besoins de ces grands chantiers.” nous explique le guide-éclaireur de l’Office de Tourisme de l’Ouest de La Réunion.
Les Zinguades et la récolte du corail
Comment se déroulait la récolte du corail et la fabrication de la chaux ? Clovis nous emmène à Saint-Leu, dans la baie de Cayenne, face à Kélonia. C’est l’un des points clé d’extraction du corail. « À l’époque, les producteurs de chaux (ou plutôt les casseurs de corail) fabriquaient un radeau péi à base de mâts de Choka. Ils coupaient et rassemblaient ces mâts particulièrement résistants et flottants pour en faire des radeaux leur permettant de se déplacer dans le lagon et de transporter les coraux.” C’était une embarcation pratique qui évitait de marcher sur les nombreux oursins du lagon. Ils utilisaient un grand mât de Choka pour se déplacer, un peu à la manière des gondoliers de Venise mais version péi !
Munis de barres à mines, les extracteurs de chaux prélevaient des blocs de coraux, des madrépores, qu’ils disposaient sur leur zingade pour les ramener ensuite à terre. “J’ai entendu dire que le terme “les Zingades” est un terme qui proviendrait du portuguais, Zingada qui signifie grande rame en portuguais. Mais c’est à confirmer !” nous glisse Clovis. Une pratique qui paraît impensable aujourd’hui. “Après avoir récolté les coraux dans le lagon, on les livrait ainsi que le bois pré-découpé. Tout ça était pesé d’abord, les coraux étant payés au kilo. Dans le four à chaux, on mettait alors plusieurs couches superposées de bois et de coraux jusqu’à la tête en haut, qu’on appelle la gueule du four. On faisait fondre tout ça puis après on le délitait, à la main à l’époque. C’était un travail fastidieux et difficile.”.
Aujourd’hui encore certains Réunionnais, casseur de coraux ou chaufournier peuvent en témoigner. Avec les vestiges patrimoniaux, ces témoignages font partie d’un héritage de près de 300 ans d’histoire de La Réunion.
Zoom sur : Le four à chaux Meralikan, l’un des derniers fours à chaux de La Réunion
Le 9 juin 1969, le Préfet De Vaudeville signe un arrêté préfectoral interdisant l’exploitation du corail. Clovis nous explique. “Il faut se rendre compte, quand même, que pour remplir un seul four à chaux, il fallait entre 600 et 700 kilos de coraux (vivant ou mort) et entre 400 et 450 kilos de bois”. L’économie de la chaux n’est, à l’époque, pas du tout compatible avec l’environnement…C’est le moins que l’on puisse dire !
Les Fours à Chaux de La Réunion vont ainsi tous s’éteindre. Tous sauf un ! Probablement le plus célèbre d’entre eux : le Four Meralikan à Saint-Leu. D’abord propriété de la famille Deltel, c’est Raphaël Meralikan, en 1950, qui rachète le four. Puis son frère, Pierre, en 1953, transforme celui-ci en véritable usine. “Après la signature de l’arrêté en 1969, Pierre reprend tous les stocks de coraux des autres fours à chaux de La Réunion. Il développe même une machine, qu’on appelait “le cyclone séparateur”, qui permet à l’époque de séparer la chaux vive de la fine chaux, qu’il appelle “La fleur de chaux”. Ainsi, cette chaux plus fine trouvera une place importante dans l’industrie du sucre, tandis que la chaux plus granuleuse sera majoritairement utilisée sur les chantiers de l’île.
Pierre Meralikan est un véritable entrepreneur de la chaux. Et c’est grâce à ses investissements qu’il maintient son four à chaux de Saint-Leu ouvert jusqu’en… 1995 ! Soit plus de 25 ans après l’interdiction du Préfet De Vaudeville. Aujourd’hui, le four à chaux Meralikan situé à Saint-Leu qui a fait l’objet d’une belle rénovation en 2014, se visite régulièrement grâce à l’association Réunionnaise des Guides et Accompagnateurs Touristiques. Il est classé aux monuments historiques depuis 1996.